Présentation des résultats de l’état des lieux de l’éducation aux médias et à l’information en détention dans les Hauts-de-France

Intervenante : Julia Tuma (Université Lille)

J’ai préparé et mené une enquête sur trois mois avec l’association CARMEN pour constituer un état des lieux sur l’EMI dans les établissements pénitentiaires de la région. Cette enquête s’est déroulée en deux temps : un questionnaire adressé au personnel des 17 établissements pénitentiaires de la région, et deux entretiens collectifs avec des personnes détenues, à la maison d’arrêt d’Amiens et au centre de détention de Bapaume. Je vais donc aujourd’hui vous présenter l’état des lieux, à savoir que :

  • 2 établissements n’ont pas répondu au questionnaire (établissement pour mineur de Quiévrechain, maison d’arrêt de Béthune) ;
  • Un échantillon de minimum 30 personnes et une moyenne de 2 personnes par établissement étaient requis ;
  • Le questionnaire a amassé un total de 51 réponses

Nous avons adressé le questionnaire à un certain nombre de professionnels : Enseignant·e, Personnel pénitentiaire d’insertion et de probation, Coordinateur·ice d’activités, Surveillant·e pénitentiaire, Personnel de direction d’établissement pénitentiaire, Autres. La majorité des répondants étaient les coordinatrices d’activités, enseignants, surveillants pénitentiaires, et les SPIP. Quant aux entretiens, à Amiens il s’est déroulé avec une dizaine de détenues hommes, des profils courtes peines, et à Bapaume avec quatre détenus hommes et une femme, des profils longues peines.

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Édition 2022 : L’éducation aux médias et à l’information

Avant de commencer à présenter les résultats de l’enquête, Qu’est-ce que l’éducation aux médias et à l’information et pourquoi avoir travailler dessus cette année ?

L’EMI est un champ qui vise à développer les clés nécessaires pour appréhender et utiliser les médias de manière critique et distanciée, dans le quotidien professionnel et personnel. Dans une société de l’information et de la communication, l’EMI se veut former les individus à différentes thématiques pour pouvoir par la suite effectuer triage autonome et fiable de l’information, ainsi que s’exprimer librement et responsablement. Les thématiques abordées par l’EMI sont nombreuses : Compréhension de l’actualité ; Décryptage des médias ; Décryptage des communications politiques ; Lutte contre les fake news ; Lutte contre les théories conspirationnistes ; Enjeux et limites de la liberté d’expression ; Utilisation et intentionnalité des images ; Lecture et analyse des données chiffrées ; etc. Les problématiques auxquelles répond l’EMI sont d’autant plus présentes dans les établissements pénitentiaires, autrement dit un milieu fermé, où les médias sont non seulement sources d’information, mais également une fenêtre vers l’extérieur.

Cet état des lieux vient répondre à un certain nombre de questions :

  • Comment et où s’informer en milieu pénitentiaire ?
  • Quel est le rôle des médias dans le quotidien des personnes détenues ?
  • Quels projets d’éducation aux médias et à l’information ont déjà été menés ?
  • Quelles sont les contraintes de la production de médias internes ?
  • Comment faire de l’éducation aux médias et à l’information ?

L’EXISTANT

Tout d’abord, démarrons sur l’existant, ce qui est déjà mis en place, et de quelle manière ?

Projets EMI

Il y a bien eu quelques projets EMI mis en place ces dernières années. La plupart des projets EMI menés ont pour thèmes les images, les réseaux sociaux, et les fake news. Sur une période de trois ans (2020 à 2022), on recense par exemple :

  • Atelier « Informer, S’informer, Déformer », par Le Studio 43, MA Dunkerque (2020/2021)
  • Atelier « Éducation à l’image », par l’Association CARMEN, CP Liancourt (2020 et renouvelé en 2021)
  • Atelier « S’informer, publier, réseaux sociaux », par BNDB productions, MA Amiens (2021)
  • Atelier « PFM Radio », par Radio PFM, CD Bapaume (2022)
  • Atelier « Éducation aux médias », par la journaliste Marine Durand, CP Château-Thierry (2022)

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Ils sont articulés par des discussions à partir d’exemples, ou par la pratique encadrée par des professionnels. D’après le personnel interrogé, 45% estiment qu’il n’y a pas assez de projets en matière d’éducation aux médias et à l’information, et 20% estiment qu’il y en a assez, mais qu’il en faudrait plus. On peut estimer le nombre de projets portant des thématiques EMI par établissements à 1 à 2 sur ces trois dernières années. Le consensus quant à la raison de cette insuffisance perçue par les répondants et les personnes détenues interrogées se porte sur : Un manque de budget / de moyens ; Des difficultés à contacter des partenaires/des difficultés de mise en place des ateliers ; D’autres priorités ; Manque de temps des personnes détenues dû aux nombreuses activités déjà proposées. Cependant le personnel indique également trouver que l’EMI peut jouer un rôle dans le cadre de leur poste et peut être utile dans le cadre de leur poste.

Productions internes et équipements

Nous nous sommes aussi intéressés aux productions internes auxquelles les personnes détenues sont amenées à participer. La participation à la production de médias internes est une manière efficace d’apprendre à maîtriser différentes techniques journalistiques et d’offrir de nouvelles façons de traiter l’information. Au contraire des médias externes, les médias internes sont produits au sein des établissements, véhiculent des informations propres aux établissements et sont diffusés dans l’enceinte de l’établissement. Il existe différents types de médias internes, ceux-ci peuvent prendre une forme audiovisuelle, écrite, ou radiophonique. Dans les établissements de la région, les médias internes, quand ils existent, prennent la forme d’un canal vidéo interne (CVI), ou d’un journal papier en majorité. On sait grâce aux réponses aux questionnaires que dix établissements sur 17 produisent au moins 1 support médiatique interne en continu. Sur l’échantillon de personnes interrogées, le consensus tend à dire que les opportunités proposées aux personnes détenues pour participer à la production d’un média interne ne sont pas suffisantes. Les avis concernant l’intérêt des personnes détenues pour la production interne sont cependant mitigés, même s’il est possible de faire un constat optimiste. Sur l’échantillon interrogé, le personnel a en majorité connaissance des médias internes produits dans leur établissement, avec tout même 39% du personnel interrogé qui n’en est pas du tout au courant. La réponse n’est pas particulièrement influencée par le poste, le temps passé avec les personnes détenues au quotidien, ni par la durée de détention de poste. En ce qui concerne leur rapport avec ces médias internes, quatre manières d’être amené à connaitre ces médias ont été identifiées, c.à.d. la participation à la production, la discussion, la consultation, et la connaissance passive. Les membres du personnel ayant répondu participer à la production sont composés en majorité d’enseignant·e·s et de coordinateur·ice·s d’activités, ainsi que d’un membre du personnel de direction d’établissement pénitentiaire. Dans les autres cas, il n’existe pas de tendance spécifique aux postes dans la manière dont le personnel est en contact avec ces médias internes.

Pour produire des médias internes efficaces et intéressants pour les personnes détenues, il est cependant nécessaire de pouvoir avoir accès à des équipements performants. Il a été possible de déterminer que la plupart des établissements de la région possède au moins du matériel vidéo et photographique, ainsi que d’équipements d’impression et/ou de reliure. Certains établissements possèdent également des logiciels de montage, et plus rarement du matériel de prise de son. Il a également été indiqué lors de discussions avec les membres du personnel et les personnes détenues que les intervenants extérieurs mettent aussi à disposition leurs propres équipements lors des activités de production de médias qu’ils animent. Les équipements mis à disposition dans les établissements pénitentiaires sont, d’après le personnel interrogé, dans un état convenable à un très bon état. Mais peu de membres du personnel possède une réelle connaissance du matériel mis à disposition dans leurs établissements, 51% des répondants n’en ayant pas du tout connaissance. Il faut aussi prendre en compte des retours hors questionnaire, qui indiquent des difficultés à utiliser les équipements par manque de connaissance sur ceux-ci, relevant d’un manque de personnel formé sur l’utilisation de tels équipements.

Où s’informer ?

Nous nous sommes aussi intéressés à l’accès à l’information externe pour les personnes détenues. A savoir qu’au sein des établissements pénitentiaires, les personnes détenues disposent comme tout citoyen de son droit à l’information. L’accès à l’information dans les établissements pénitentiaires est règlementé le Code de Procédure Pénale, indiquant que l’accès aux publications écrites et audiovisuelles peut s’effectuer : Lors d’actions culturelles ; Dans les médiathèques et bibliothèques des établissements ; Dans les centres de ressources audiovisuelles et multimédia des établissements ; Par la réception de ces médias venant de l’extérieur ; Lors de l’utilisation d’équipements permettant exclusivement la réception de services de radio et de télévision ; Lors de l’utilisation d’équipements informatiques non connectés à des réseaux extérieurs. La DISP de Lille finance également 26 000€ pour assurer l’accès dans tous les établissements de la région Hauts-de-France à des publications périodiques, hebdomadaires et mensuelles dans les bibliothèques. En ce qui concerne les médias d’information, les formats principalement diffusés sont la presse écrite et les journaux télévisés, et moins souvent, la radio.

Parmi les médias diffusés, il est possible de recenser les suivants :

La presse quotidienne régionale ressort comme majoritaire dans les médias d’informations auxquels les personnes détenues ont accès, avec la Voix du Nord comme source d’information principale. Peu d’établissements distribuent la presse papier gratuite quotidiennement dans toutes les cellules, car l’intérêt n’est pas assez élevé. De même, les personnes détenues ne choisissent pas forcément les chaines télévision d’information parmi les chaînes proposées, se dirigeant plutôt vers de chaînes de divertissement. Les personnes détenues ont également peu de confiance envers les médias, et s’ils s’informent sur les chaînes d’information continue, ils s’en désintéressent rapidement dû à leur aspect répétitif. En effet, les personnes détenues ont un discours très critique, voire conspirationniste lorsqu’ils sont interrogés sur les raisons pour lesquelles ils n’ont pas confiance envers les médias d’information grand public. Ils repèrent en effet un certain business derrière la manière dont l’information est présentée, qui joue sur leurs émotions, une certaine mise en scène qui leur inspire une méfiance. Cependant, les médias ont une place importante pour les personnes détenues, qui les considèrent comme une fenêtre vers le monde extérieur. La pluralité des médias est une question très importante lorsqu’il s’agit de traiter de l’information, afin de pouvoir construire une pensée critique et lutter contre la méfiance de l’information transmise. Cependant, cette pluralité n’est pas toujours mise en œuvre lorsque les médias proposés sont déterminés sur la base de la demande, mettant alors une barrière à l’ouverture vers différentes manières de traiter une même information. Parmi le personnel interrogé, il est possible de constater un consensus sur le fait que l’accès à l’information dans les établissements n’est pas suffisant, ou pourrait être amélioré.

LES BESOINS EN EMI

Voilà pour l’existant. Nous avons également enquêté sur les besoins et la demande, donc en ce qui concerne les thématiques EMI :

De quoi parler ?

Le protocole Culture-Justice considère que l’action culturelle est un élément majeur dans le parcours de réinsertion des personnes placées sous-main de la justice. De même, l’EMI vise à former les individus pour en faire des citoyens responsables, détenant des clés nécessaires pour appréhender toutes les informations qui leurs sont transmises dans son quotidien. L’EMI peut être une discipline essentielle pour les personnes détenues dans leur parcours, afin de réintégrer la société civile en disposant les clés pour s’y réinsérer. Au sein des établissements de la région, l’échantillon interrogé considère que l’éducation aux médias et à l’information joue un rôle dans le cadre de leur poste, notamment dans le cas des enseignant·e·s, coordinateur·ice·s d’activités, et des SPIP. Le consensus s’étend tout même à tous les postes ayant répondu, il est donc possible de constater que de manière directe ou indirecte, cette éducation-là est présente au quotidien dans les établissements pénitentiaires. Un besoin est décelé par le personnel dans plusieurs thématiques propres à l’éducation aux médias et à l’information, avec une insistance sur la compréhension de l’actualité et la lutte contre les fake news. De manière plus approfondie, le personnel défini le rôle de l’éducation aux médias et à l’information pour les personnes détenues comme essentiel pour développer un esprit critique et être moins influençable, mais également pour apprendre à apprendre en autonomie. De manière plus personnel, certains mentionnent que l’éducation aux médias et à l’information leur permet d’être plus confiants en eux-mêmes, de pouvoir se sentir citoyens et d’exercer leurs droits.

Mais comment faire des projets EMI ?

L’enquête a démontré que parmi les différentes manières d’organiser des ateliers EMI, la pratique est considérée comme la plus efficace pour appréhender les thématiques EMI. Les personnes détenues ont également exprimé leur appréciation de la découverte de « l’envers du décor » d’un média. L’intérêt se porte alors plus vers des ateliers plutôt ludiques, que théoriques. Il est possible de constater au contact des personnes détenues qu’il y a bien un intérêt pour de tels ateliers, notamment lorsque les retours d’autres personnes détenues ayant participé aux activités sont positifs. Le ¾ du personnel interrogé estime aussi que les personnes détenues sont plus ou moins intéressées par de tels ateliers.

Pour finir, pourquoi faire de l’EMI ?

L’EMI a également un intérêt de professionnalisation fort. La discipline est généralement considérée comme utile dans les formations proposées aux personnes détenues. De ce fait, des projets EMI pourrait entrer en complémentarité avec les formations professionnelles proposées aux personnes détenues. Nous avons posé la question dans le questionnaire justement, de l’intérêt que peuvent avoir des projets EMI pour compléter des formations.

Il est par exemple possible de croiser les enjeux de EMI avec certains critères d’obtention d’une certification CLEA, adressées aux personnes ne possédant pas de certifications professionnelles et proposées aux personnes détenues peu qualifiées.

Il existe deux types de certifications CLEA :

  • La certification CLEA, qui indique dans son référentiel 7 domaines du socle de connaissances et de compétences professionnelles nécessaires pour son obtention : Parmi ces 7 domaines, le personnel interrogé estime que certaines peuvent être mobilisées lors de projets d’éducation aux médias et à l’information, en particulier la communication en français, l’utilisation des techniques usuelles de l’information et de la communication numérique, et la capacité d’apprendre à apprendre tout au long de la vie. Ce qui rejoint les apports identifiés par le personnel de l’éducation aux médias et à l’information dans le parcours des personnes détenues.
  • La certification CLEA numérique, qui indique dans son référentiel 4 domaines du socle de connaissances et de compétences professionnelles nécessaires pour son obtention : Parmi ces 4 domaines, le personnel interrogé estime que certains peuvent être mobilisés lors de projets d’éducation aux médias et à l’information, en particulier identifier son environnement et utiliser les outils associés, ainsi qu’acquérir et exploiter de l’information dans un environnement professionnel numérisé.

SYNTHÈSE

Atouts

  • La DISP de Lille accorde un financement important à l’accès aux médias externes ;
  • Il existe dans la majorité des établissements pénitentiaires de la région Hauts-de-France des productions internes auxquelles les personnes détenues participent ;
  • Les équipements pour produire à l’interne sont généralement récents et en bon état ;
  • Le nombre de projets d’éducation aux médias et à l’information est en croissance ;
  • Les personnes détenues sont généralement intéressées par de tels projets.

Faiblesses

  • Le domaine de l’éducation aux médias et à l’information, ses dispositifs et ses thématiques sont généralement mal connues ;
  • Il manque parfois de personnel formé à l’utilisation d’équipements de production de médias à l’interne ;
  • Les médias d’information mis à disposition répondent aux demandes, amenant parfois à un manque de pluralité dans la sélection proposée en bibliothèque ;
  • L’accès à l’information pour les locuteurs étrangers ou illettrées est restreint, et très peu de contenu non-francophone est proposé ;
  • Les participants à des projets d’éducation aux médias et à l’information sont très souvent des personnes déjà intéressées, les personnes qui ne sont pas intéressées et/ou celles pour qui ces projets pourraient être les plus bénéfiques sont difficiles à sensibiliser sur ces thématiques ;
  • Les projets d’éducation aux médias et à l’information sont parfois considérés comme difficiles à mettre en place, non prioritaires par rapport à d’autres, ou bien les contacts avec des professionnels de l’éducation aux médias et à l’information est difficile ;
  • Les réglementations propres aux établissements pénitentiaires entravent parfois au bon déroulé des activités, notamment l’éducation aux réseaux sociaux lorsqu’il n’y a pas d’accès internet, ou les personnes détenues qui ne sont pas toujours informées tout au long d’une production de son évolution en dehors du temps d’activité.

Bien évidemment, l’intérêt de cette journée est d’ouvrir des discussions sur ce qui peut être fait pour continuer à mettre en place des projets, comment les mettre en place, comment créer de l’opportunité. J’espère que cette présentation aura pu vous donner une base pour les ateliers d’aujourd’hui et de la matière à la réflexion chez chacun d’entre vous, professionnels de l’EMI mais aussi des établissements pénitentiaires de la région. Je vous remercie pour votre attention.

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TABLE RONDE : Les enjeux de l’éducation aux médias et à l’information à travers des projets menés récemment en région Hauts-de-France

Animatrice : Flora Beillouin (journaliste indépendante, documentariste, La Friche)

→ Clémence Leleu (journaliste indépendante) / Projet CD Liancourt
→ Éric Sosso (BNDB Productions) / Maud Thevenet (MA Amiens)
→ Malou Biaudet (CD Bapaume)

Une des choses dont il faut être conscient lorsque l’on rentre en prison c’est que le temps ne s’étire pas de la même manière que dehors. Arriver seulement 10 minutes en avance c’est déjà être en retard parce que le temps de passer les contrôles, les portiques, les portes… Les parcours sont plus hachés et parfois des blocages pour sécurité entraînent la suspension de tous les mouvements, même ceux des détenus, pendant de longues dizaines de minutes.

Intervenir en prison pour faire de l’éducation aux médias ce n’est pas pour dénoncer la surconsommation télévisuelle des détenus, alerter sur les fake-news mais pour créer des temps de discussion, de débats et d’échanges, qu’ils n’ont pas toujours la possibilité d’avoir par ailleurs, de poser les détenus en tant que consommateurs d’information, qui peuvent avoir un œil aiguisé sur l’actualité, qu’ils peuvent être critiques du système médiatique mais aussi parfois de leur propre consommation des médias.

© Solenn Bihan

Clémence Leleu s’intéresse beaucoup aussi à la manière dont les médias évoquent la prison et le milieu carcéral dans son ensemble, « on étudie différents articles qui parlent de la prison, on les analyse, on essaie de voir les similitudes, les points de forces et les limites. Et on essaie d’initier une conversation autour de ce thème : comment raconter de manière juste la prison avec tous les impératifs que l’on peut avoir quand on est journaliste et que l’on est autorisé à rentrer. De mon côté, j’envisage ces ateliers comme des temps d’échange, de débat mais aussi d’apprentissage commun. J’ai appris beaucoup sur moi-même et sur mon métier en allant faire des ateliers en milieu carcéral. »

Clémence Leleu a travaillé d’une part avec un groupe du club journal, des détenus qui font partie d’un bâtiment à la circulation plus libre que les autres. Les échanges tournent ici autour de l’édition d’un journal trimestriel. Les détenus, en plus de conseils journalistiques qu’ils ont sollicités de sa part, avaient surtout besoin de reprendre confiance en leur capacité à créer, à donner leur avis, à produire des choses de qualité. Parfois la création de ce journal leur semble assez répétitive et lourde, il a donc fallu essayer de les remotiver et de changer quelques points du média avec eux pour qu’ils ne soient pas enfermés dans un exercice répétitif, qui est rassurant mais à la fois qui laisse peu de place à la création de nouvelles choses qui amènent de l’air dans le groupe.

Elle a aussi travaillé avec un autre groupe, des autres bâtiments qui ne bénéficient pas d’une liberté de mouvement comme les autres du club journal. C’est avec eux qu’elle organisait des débats autour de l’information, de l’analyse d’articles. « Nous avons voulu organiser des interviews du personnel pénitentiaire et le groupe s’est très vite énormément investi dans la préparation des questions, dans la manière d’être le plus juste, de laisser leurs propres revendications de côté pour entrer dans une interview pertinente et globale. Malheureusement le projet n’a pas pu être mené jusqu’à son terme à la suite de l’annulation le jour même des interviewés, ce qui m’a bien évidemment déçue autant que les détenus, mais nous étions tout de même fiers du travail réalisé, de l’intérêt et de l’investissement qu’ils y avaient mis. »

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ATELIER 1 : Faire du commun entre les objectifs pédagogiques de l’Administration Pénitentiaire, ceux de l’Éducation Nationale et ceux de l’Éducation aux Médias et à l’Information ?

Animateur·ice·s : Sophie Baclet Louvet, Clémentine Gentilini, Valentin Reculet et Nicolas Deschamps (CRAJEP Hauts-de-France – éducation à la citoyenneté numérique)

© Solenn Bihan

ATELIER 2 : L’accès à l’information en détention : Olivier Pernot (journaliste indépendant)

Intervention axée autour de quatre thèmes : Mon expérience d’intervenant en détention, L’accès à l’information en détention, Le rôle des bibliothèques, Mon expérience de journaliste en détention. Cette intervention a été nourrie d’échanges avec les personnes présentes, en particulier les membres du personnel de l’administration pénitentiaire, qui ont complété ou précisé mes propos ou mes réflexions.

Mon expérience d’intervenant en détention

Conférences musicales dans neuf établissements des Hauts-de-France (Lille-Annœullin, Valenciennes, Arras, Bapaume, Maubeuge, Béthune, Douai, Vendin-le-Vieil, Longuenesse) + CP Avignon – Le Pontet. Une trentaine de conférences depuis 2016.

Ateliers d’éducation aux médias et de pratique journalistique :

* Lille-Annœullin / temps long / 20 séances (quartier hommes) (depuis 6 ans) : Partage autour de la musique – échange / Ecriture (récits) / Interviews (Jeanne Added, Mat de Skip The Use, The Lumberjack Feedback, November Polaroid, etc.), Écriture d’une conférence (recherche d’infos, vérifications, choix de photos et de vidéos). Après trois ans de travail ensemble, et à force de côtoyer un journaliste, certains détenus ont créé un journal au Centre de détention du CP de Lille-Annœullin

* Lille-Annœullin / 10 séances : Aide au journal créé Centre de Détention, Préparation, réalisation et rédaction d’interviews.

* Lille-Sequedin / temps long / 20 séances (quartier femmes) : La place des femmes dans la culture et dans la société (Frida Khalo, Nina Simone, Zaha Hadid, Simone Veil, Angela Davis, Marie Curie, Colette, Simone de Beauvoir, Guerilla Girls, Agnès Varda), Projection du documentaire « La grande histoire des féministes », Interview Elyane Dheygere (directrice du Vivat, salle de spectacles à Armentières).

* Valenciennes / temps court / 5 séances sur une semaine – Arras / temps court / 5 séances sur une semaine – Lille-Annœullin / temps court / 5 séances sur une semaine : Souvenirs liés à la musique, un morceau qui vous a marqué, un clip qui vous a marqué, Les détenus se racontent à travers la musique qui a traversé leur vie.

Rien n’est simple en détention, mais beaucoup de choses sont possibles. Il faut une grande capacité d’adaptation pour monter un atelier : adaptation aux contraintes de la détention (ordinateur à faire rentrer, pas de clé USB, pas Internet, présence / absence des détenus, etc.). Projet d’année en année (dossier à l’automne, validation en fin d’année, atelier l’année suivante).

Les réussites

  • Constituer un groupe pour l’atelier / un groupe de travail (de détenus qui ne se connaissent pas, ne se fréquentent pas)
  • Monter une conférence, avec une forte présence cette année-là (10 détenus en atelier avec une présence de 9 détenus à chaque séance)
  • Faire parler / lecture des textes écrits à l’oral (en plus devant d’autres détenus pour la conférence)
  • Faire écrire des détenus, dont certains qui ne savent pas écrire (ou difficilement), des anglophones, ou qui écrivent le français depuis peu (deux ans récemment avec un détenu de Valenciennes)
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L’accès à l’information en détention

Ce qu’il est ressorti des discussions avec les détenus rencontrés : Les détenus ont la télé souvent allumée, souvent sur les chaines infos (BFM en particulier) / pas de rituel du 13h ou du 20h, Peu d’écoute de la radio (il faut l’acheter donc c’est un frein), Peu voire pas d’accès à la presse écrite (il y a une grande méconnaissance des médias écrits) / J’ai amené quelques un de mes articles pour les faire lire aux détenus qui n’ont pas cette habitude de lecture, Pas d’accès à Internet (théoriquement).

Donc une information centrée sur les « grosses informations », très franco-françaises, pas de lectures d’analyses (dans la presse écrite), mais réception de l’info par les débats d’actualité à la télé. L’info est donc souvent vue par l’angle de la polémique avec des analyses de chroniqueurs parfois « borderline ». Comme les détenus sont déjà éloignés de l’info (qui est la vie du dehors), le peu qu’ils en captent a souvent un aspect frontal (info en continu qui est rabâchée), sans recul, sans analyse et parfois avec une vision déformée par les émissions de débat. J’ai eu régulièrement des échanges sur les fakes news, les théories du complot (en particulier pendant la crise du covid 19 ou par rapport au réchauffement climatique, certains défendant des thèses climato-sceptiques). Il est difficile de se tenir informer en prison car la vie y est dure et concentrée sur l’essentiel : dormir, se nourrir, essayer de rester « vivant » (debout, actif). L’information y arrive par des canaux réduits (la télé) mais qui suffisent souvent aux détenus

Le rôle des bibliothèques

Ce sont des espaces ressources mais peu connus / peu fréquentés (problème de communication auprès d’une population qui n’a pas nécessairement l’habitude de lire et encore moins de fréquenter une bibliothèque à l’extérieur). Et parmi ceux sont déjà allés à la bibliothèque, certains m’ont dit : il n’y a rien à la bibliothèque. Il y a aussi un manque de curiosité de la part des détenus.

Mon expérience de journaliste

Réalisation d’un reportage pour le quotidien Libération (au printemps 2022)

Demande nationale (service de presse de l’administration centrale) qui redescend à la chargée de communication régionale de la Direction interrégionale des services pénitentiaires / Réalisation de quatre interviews (3 détenus + 1 surveillant) / Interviews facilitées dans mon cas car tout s’est déroulé au CP de Lille-Annœullin (où j’ai déjà une autorisation d’entrée et que la coordinatrice des activités, Julie Bordeix, a sélectionné au préalable des détenus et un surveillant). Pas la possibilité de prendre dictaphone, donc prise de notes à la main sur un carnet. Liberté de parole des détenus même sur des sujets qui fâchent (se passer de la musique sur des clés USB qui sont interdites en prison).

ATELIER 3 : L’EMI pour déconstruire le complotisme : Olivier Magnin (Image’IN)

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ATELIER 4 : La liberté d’expression en pratique : Ulysse Mathieu (Les Lucioles du Doc) 

Le but de l’atelier était de :

  • Montrer, à travers des exemples qui ont été filmés, une tentative de faire exister une parole collective en prison.
  • Proposer un espace de réflexion à des membres de l’administration pénitentiaire, des journalistes, et des professeurs pour questionner les pratiques des Lucioles du doc au cours de leur projet constit”
  • Identifier des points de tension qui peuvent exister avec l’administration et les prisonniers quand on monte ce type de projet.

L’atelier était séparé en trois temps :

  • Le premier s’articule autour des enjeux soulevés par le fait d’essayer de construire un espace de parole collective. Après le visionnage d’un extrait de Nous le Peuple où les prisonniers d’un groupe s’interrogent sur leur légitimité à s’exprimer, on organise la discussion au sein de l’atelier autour de certaines questions : quel est le rôle d’un animateur ? En quoi diffère-t-il de celui d’un journaliste ? Comment donner un horizon aux discussions dans un atelier ? Quelles peuvent être les techniques pour faire circuler la parole ?
  • Le deuxième temps s’attache à la question de la circulation entre intérieur et extérieur de la prison. A travers les extraits de Rousseau, la mode et la Prison, et de L’envers du décor, on montre deux exemples de circulation : à travers des messages vidéo ou en faisant venir des “experts” à l’intérieur de la prison pour se soumettre à des interviews. A quoi peut servir cette circulation ? En quoi peut-elle permettre de déplacer les prisonniers des rôles dans lesquels ils s’inscrivent ? Quels enjeux crée-t-elle vis-à-vis de l’administration (Anticipation/Validation)
  • Enfin, la dernière partie de l’atelier était centré autour de la question de la diffusion. Après ici aussi le visionnage d’un extrait de Nous le Peuple où une partie des prisonniers se rend à l’assemblée nationale. Quel écho peut-on donner à une parole recueillie en atelier ? Quelle est la responsabilité des animateurs qui demandent aux détenus de s’exprimer ? Quel sens une diffusion peut-elle donner à un projet ?
© Solenn Bihan